Philippe Tapie, figure du négoce bordelais , dans le Figaro

Philippe Tapie, figure du négoce bordelais : «Bordeaux est arrivé au bout d’une histoire et il faut se remettre en cause»

Situation économique du vignoble bordelais, ratage de la dernière campagne des primeurs, mesures à prendre, évolution du goût du vin… Philippe Tapie, à la tête de Bordeaux Négoce, répond aux questions du Figaro Vin.

 

PDG fondateur de la société de négoce Haut Médoc Sélection, spécialisé dans les grands crus classés bordelais, Philippe Tapie a été élu en avril dernier à la tête de Bordeaux Négoce, syndicat qui regroupe 77 négociants en vin. Il nous livre son analyse de la crise actuelle.

 

Le Figaro.- On dit que les vins primeurs de Bordeaux  ne se sont pas bien vendus lors de la dernière campagne, vrai ou faux ?

Philippe Tapie.- C’est vrai. La situation est très compliquée, tant du point de vue conjoncturel que structurel. Et ceci n’est pas lié à la qualité du produit qui était bonne. Mais le marché est frileux, en repli, en hésitation. Et même si les propriétés ont, dans leur ensemble, vraiment fait un effort de correction de prix, cela n’a pas suffi.

 

On parle de vins vendus à des prix à la baisse de 40%. Confirmez-vous ce chiffre ?

Je parlerai plutôt de moins 30% que de moins 40% … Mais il est très difficile de définir une tendance générale.

 

Mais tout Bordeaux a souffert de cette mauvaise campagne de primeurs  ?

Bordeaux souffre d’une campagne primeurs à partir du moment où la campagne n’a pas abouti. On perd l’élan pour la suite. Le système des primeurs est formidable car c’est un système qui, par anticipation, permet de financer l’activité économique. À partir du moment où il ne fonctionne pas, il n’y a pas d’anticipation possible et pas d’avance d’argent pour l’activité.

 

Comment l’analysez-vous ? Malgré les baisses de -30% à -40%, les prix étaient-ils trop élevés ?

Je ne pense pas qu’il faut raisonner ainsi. Je pense qu’aujourd’hui Bordeaux est arrivé au bout d’une histoire et il faut que nous nous remettions complètement en cause. Je suis un fervent défenseur du système des primeurs. Bordeaux existe à travers ce système. Il faut juste que nous le rendions à nouveau crédible, attractif et audible. Il faut aussi que nous reparlions de deux choses essentielles : le consommateur final et le produit.

 

Le monde du vin de Bordeaux connaît une crise grave aujourd’hui…

Ce n’est pas seulement le monde du vin à Bordeaux, c’est malheureusement le monde du vin en général qui connaît une crise, comme le monde des spiritueux. Nous sommes aujourd’hui face à une situation de blocage général. Et Bordeaux comme les autres en pâtit.

 

Bordeaux souffre quand même d’une image assez défavorable. Comment pallier ce problème ?

Bordeaux souffre peut-être d’un problème de communication ou de non-communication. Pourtant Bordeaux a beaucoup d’atouts. Bordeaux a un produit qui n’a jamais été à un tel niveau de qualité. Bordeaux a les investissements, l’optimisation des propriétés, des terroirs… Il faut aujourd’hui, sans tomber dans l’arrogance, s’assumer, positiver, regarder un bordeaux moderne, un bordeaux jeune. Et nous, à Bordeaux Négoce, dans notre nouvelle mandature, nous allons militer sur un axe de communication positif, sur le fait que Bordeaux puisse être moderne, jeune et qu’on peut boire des bordeaux jeunes. Pour nous, la notion de consommation est essentielle.

 

Est-ce que Bordeaux est assez modeste ?

Bordeaux doit se concentrer sur le fait d’être humble. Je n’aime pas le mot modeste parce que ça voudrait dire que nous avons été arrogants. Nous l’avons certainement été sous une certaine forme, mais Bordeaux reste Bordeaux et sera toujours Bordeaux.

 

Ce n’est très pas modeste de dire cela…

Nous sommes d’autant plus modestes que nous sommes quand même capables aujourd’hui d’être apprécié par d’autres pour être utilisé en système de vente. Je rappelle que la place de Bordeaux est un système unique. Aucune autre région viticole au monde ne bénéficie d’une telle organisation. Et si aujourd’hui nous sommes sollicités par certains vins étrangers de renommés, cela veut bien dire que nous avons une vraie valeur ajoutée.

 

Pour certains les Bordeaux sont des vins qui ne se distinguent pas forcément les uns des autres, pour d’autres ce sont des vins inaccessibles en termes de prix, pour la jeune génération, ce sont les vins de papa…

Je ne suis pas du tout d’accord avec cela. La force de Bordeaux, c’est sa multiplicité, sa diversité, sa palette d’offre. C’est extraordinaire la capacité que nous avons à Bordeaux d’avoir des typicités différentes, des vins en mesure de répondre à différents besoins et à différents niveaux de consommation.

 

Alors disons que peu le savent.

À nous de travailler pour le faire savoir.

 

Certains disent que Bordeaux serait en train de perdre son âme, avec des vins frais, avec des vins fruités . De la même façon que le Beaujolais  aurait perdu son âme avec le beaujolais nouveau .

Un bordeaux moderne ce n’est pas un bordeaux qui renie ses origines. Aujourd’hui nous sommes capables de boire des bordeaux jeunes. Nous pouvons boire de très grands vins jeunes. On peut les magnifier en les gardant, mais on peut les consommer et les apprécier très jeunes. Bordeaux peut se moderniser sans renier ses origines.

 

Philippe Tapie

Nous sommes des pragmatiques et nous sommes là pour faire du business et surtout produire des vins qui doivent être bus et consommés.

 

Des consultants parlent de d’utilisation abusive de macérations carboniques lors de la vinification, qui apporte plus de fruits, plus d’arômes. Est-ce vrai ?

Non. Je crois qu’aujourd’hui à Bordeaux, nous sommes des puristes, nous sommes des spécialistes, nous sommes des authentiques, nous sommes respectueux du produit.

 

Vous représentez 80 grands négociants. Certains disent que Bordeaux serait champion du monde pour vendre ce que les gens ne demandent pas. C’est-à-dire des vins très chers, des vins plutôt rares…

Mais non… Nous sommes des pragmatiques et nous sommes là pour faire du business et surtout produire des vins qui doivent être bus et consommés.

 

Certains reprochent aux négociants de ne vendre que le top 50, avec des marges très conséquentes…

Il faut arrêter de fantasmer. Aujourd’hui, le top 50, heureusement que nous l’avons. Heureusement qu’il est là pour tirer, entraîner la machine. Bordeaux est un train. Il faut des locomotives et des wagons. Il y a des grands vins à tous les niveaux, petits, moyens, grands vins.

Et arrêtons de taper sur les leaders. Heureusement que nous les avons.

 

Nul ne tape pas sur les leaders. Certains reprochent juste aux négociants de mettre l’accent sur les leaders parce qu’ils seraient plus porteurs de profits que les autres.

Non. Cela, c’est valable quand vous évoluez dans un monde spéculatif, comme sur les marchés financiers. Mais à un moment donné, le marché reprend ses droits et les prix doivent être réalignés sur des prix de consommation, de distribution. Et il faut penser une gamme complète que Bordeaux a complètement la capacité d’offrir.

 

Vous me dites que vous faites autant d’efforts pour vendre les petits châteaux que les grands châteaux.

Moi je suis très mal placé et là je ne vous parle pas en tant que président de Bordeaux Négoce, je vous parle en tant que président d’HMS, spécialisé sur les très grands châteaux et sur une clientèle très spécifique.

 

Très bien, mais qu’en est-il de la place ?

Mais la place, c’est une multiplicité d’offres. Un négociant en vins à Bordeaux, c’est un généraliste qui peut avoir entre 300 et 500 références et qui est en capacité de prendre en charge des vins d’entrée de gamme, de moyenne gamme, de très haut de gamme et qui peut proposer à un même client une palette d’offres très diverses et très variées. C’est cela sa force.

 

Vous êtes sollicité par des domaines étrangers prestigieux, mais pour certaines personnes, vous ne seriez pas capable de vendre l’entrée de gamme de Bordeaux. Qu’en pensez-vous?

Je pense qu’il y a une part de vrai. Je pense que Bordeaux doit se réinventer par rapport à cela. Je comprends la petite propriété qui est frustrée par rapport aux efforts qu’elle fait, par rapport au travail qu’elle produit qui n’est pas rémunérateur. Nous avons engagé avec l’interprofession, avec la préfecture, avec l’État, des réflexions globales à propos d’une rémunération minimale pour que chaque petite propriété puisse s’en sortir. Et je le répète, je suis persuadé qu’il n’y a pas de petits vins, de moyens vins ou de grands vins. Il y a des vins qui peuvent être bons à Bordeaux et l’idée est de les accompagner. Le négoce doit avoir une vraie réflexion sur ce sujet.

 

Il faut aussi des actions. Parce que pour l’instant, dans les propriétés qui produisent de l’entrée de gamme, il y a des faillites, des suicides …

Oui. Et aujourd’hui je suis très ouvert aux discussions qui sont en cours au niveau de l’interprofession, pour essayer de trouver des solutions pour ces gens-là. Pour qu’ils puissent vivre de leur métier et de leur travail formidable.

 

Le vin doit être un reflet de son époque. Pensez-vous que les vins de Bordeaux, que vous représentez, le sont ?

Complètement. Ils ont même évolué. Je regarde et j’admire les gens qui font ces grands vins de Bordeaux qui ont su évoluer avec leur époque. Je me rappelle, même si j’étais tout petit, des vins qui étaient faits dans les années 70, des vins qui ont été faits dans les années 80, des vins qui ont été faits dans les années 90. Je pense que nous n’avons jamais été au niveau de précision technique, qualitatif où nous sommes aujourd’hui.

 

Et comment définissez-vous le bordeaux contemporain ?

C’est un vin moderne, sexy, un vin jeune, buvable, qui est vrai. C’est un vrai moment de plaisir et un vrai moment de partage, un vin d’émotion.

 

Maintenant parlons du secret de l’avenir de Bordeaux, qui serait le “DBY”. Qu’est-ce que le “DBY” ?

C’est le “Drink Bordeaux Young”. Drink Bordeaux Young est une notion qui a été lancée par un des plus grands vinificateurs et une des plus grandes familles de Bordeaux, qui est un jeune, qui est parti seul sur ce cheval de bataille que je trouve très intéressant. Et quand Edouard Moueix m’a parlé de ce sujet, cela m’a tout de suite interpellé et nous en avons immédiatement parlé au sein de la Commission de Bordeaux Négoce. Je pense que cela résume bien l’objectif du bordeaux de demain.

 

Cela ne risque pas d’être un bordeaux uniformisé ?

Non. À chacun son ADN, à chacun son identité. Par contre, à chacun d’aller vers ce qui va se passer demain, quelque chose de contemporain pour que la jeune génération ait envie de consommer nos vins et d’avoir des moments de partage et d’émotion.

 

Comment va-t-on faire pour que les jeunes sommeliers conseillent au consommateur de consommer du bordeaux ?

Nous avons un énorme chantier pédagogique à mettre en place. Nous avons un devoir d’explication vis-à-vis de ces gens qui sont de vrais prescripteurs et qui sont de vrais relais indispensables pour les grands vins de Bordeaux.

 

On se dit qu’on se donne le temps, qu’on va parler, mais il y a urgence. Il y a 70 000 personnes qui vivent du vin à Bordeaux.

Si j’ai accepté ce mandat, c’est aussi parce que j’ai des convictions et que je crois dans l’action que mon bureau et que mes élus ont bien voulu me confier. C’est un travail collectif, on va tous y aller. Je ne suis pas là pour faire des figurations.

 

Est-ce qu’il ne manque pas à Bordeaux des leaders charismatiques, des gens qui portent l’appellation ?

Nous avons un vrai potentiel, je ne suis pas inquiet.

 

Le marché évolue. Lors de la dernière session de Wine Paris, chacun a constaté un grand intérêt pour les vins sans alcool ou les vins avec un faible pourcentage d’alcool. Est-ce un axe de développement pour Bordeaux ?

Ma position très personnelle sur le sujet est qu’il ne faut rien s’interdire. Je pense que Bordeaux doit tout explorer, ne doit s’interdire aucune piste. Mais je pense aussi qu’il faut rester concentré sur les choses essentielles à Bordeaux : le terroir, le vin d’assemblage, le savoir-faire sur les propriétés. Mais ne nous fermons aucune porte. Nous sommes dans une situation où tout est bon à prendre, sans aller dans le n’importe quoi.

 

Il faut être créatif…

Absolument. C’est comme l’histoire du bio. Ma vision du bio est très claire. Pour tous ceux qui peuvent le faire, c’est très bien. Mais si tout d’un coup il faut faire une pause pour sauver sa récolte, pour sauver son économie, pour sauver son modèle, on ne va pas se l’interdire. À un moment donné, quand on a des contraintes climatiques, des contraintes sanitaires, on sauve sa récolte. C’est quand même plus dur de faire du bio à Bordeaux que dans le Languedoc. Si un propriétaire décide à un moment donné de dire “je suspends parce que ma survie en dépend”, je ne vais certainement pas les lui reprocher. Sans citer de nom, je peux vous parler de propriétés qui ont pris la décision de suspendre leur action et qui ont traité et qui reprendront leur sujet bio plus tard. Il n’y a pas de mensonges, c’est juste pragmatique.

Aujourd’hui les gens boivent moins, les gens boivent mieux, cela veut-il dire que le vin va devenir un produit de luxe ?

Non. Le vin est un produit de consommation. Même si nous avons de très grands vins dans toutes les régions de France, des vins iconiques. Je rappelle que le vin, c’est fait pour être bu et consommé.

Philippe Tapie

Non, Bordeaux n’a pas oublié le consommateur. Mais le consommateur d’aujourd’hui n’est pas le même que celui d’hier ou que celui d’avant-hier.

Est-ce que vous pensez que Bordeaux a oublié les attentes du consommateur ?

Non, Bordeaux n’a pas oublié le consommateur. Mais le consommateur d’aujourd’hui n’est pas le même que celui d’hier ou que celui d’avant-hier.

Comment va faire Bordeaux pour se reconnecter aux consommateurs d’aujourd’hui ?

On va peut-être essayer de reparler du produit, on va peut-être le refaire vivre, ouvrir des bouteilles, échanger. Bordeaux a tout pour y arriver, franchement.

Pour l’instant, Bordeaux n’est pas en phase avec son consommateur…

Bordeaux aujourd’hui est dans une situation où ça ne connecte pas. Mais ça ne connecte plus pour personne. Je rentre d’une réunion nationale de la Fédération des négociants. Ça ne va pas en Champagne, ça ne va pas à Cognac, ça ne va pas en Loire, ça ne va pas en Rhône parce que quelque part, nous sommes tous décalés. Pourquoi ? Parce que je pense que nous avons un contexte qui inquiète tout le monde et une incertitude qui fait que les gens y réfléchissent à deux fois avant d’acheter. Je pense que nous sommes dans une situation économique qui est déplorable. Je pense que nous avons un pouvoir d’achat qui est impacté, je pense que nous avons des taux d’intérêt qui viennent complètement changer la donne par rapport à tout ce qu’on a connu pendant des années. Et je pense que nous avons un niveau de consommation qui est sensiblement en baisse. Et moi cela fait 22 ans que je suis dans ce métier, 30 ans que je travaille. Et pour la première fois, il n’y a pas une zone géographique où cela fonctionne. Cela n’est jamais arrivé. J’ai toujours vu un bout du monde qui rattrapait les problèmes de l’autre bout du monde. Mais aujourd’hui, ça ne va bien nulle part.

Et vous pensez que ça peut durer ?

J’en ai peur. Mais nous allons tout faire pour que cela dure le moins de temps possible.

Combien de temps vous donnez-vous pour ressortir le vignoble bordelais et les autres vignobles du marasme ?

C’est maintenant que nous devons faire la différence. Ce n’est pas quand tout va bien, qu’on reconnaît les bons, c’est quand tout va mal qu’on reconnaît les bons. Donc maintenant, il faut que nous retournions sur le terrain, il faut que nous reprenions des campagnes commerciales, il faut que nous allions refaire goûter nos vins chez les clients. Il faut remettre tous nos vendeurs à fond sur le terrain, essayer de vendre du vin, boire du vin, recréer de la désirabilité. Il faut se bouger plus que jamais.

 

Bordeaux Négoce : RENOUER LE DIALOGUE

BIO EXPRESS

Philippe Tapie est issu d’une famille de pieds-noirs arrivée dans les années cinquante à Bordeaux. Ses grands-parents étaient déjà propriétaires d’un domaine viticole en Algérie, dans la région d’Oran. Dès leur arrivée, ils achètent des propriétés dans le Médoc. « Mes grands-parents ont exploité des Grands Crus, mais moi j’ai fait un autre choix, celui des spiritueux, ça me paraissait plus audible et compréhensible », commente-t-il. Il passe une dizaine d’années aux États-Unis avant de revenir à Bordeaux pour se rapprocher de son père. « J’ai eu envie de me lancer dans le marketing produit mais tout de suite sur quelque chose de très spécialisé : les Grands Crus classés ». L’aventure HMS (Haut-Médoc Sélection) débute en 2002 : « Je n’ai qu’une centaine de références, mais, sans vouloir paraître arrogant, du numéro 1 au numéro 100 ! »

 

INTERVIEW – Élu à la tête de Bordeaux Négoce dans un contexte de crise, le négociant Philippe Tapie, également fondateur de l’entreprise HMS, entend bien dépoussiérer l’image de la place de Bordeaux et optimiser le dialogue dans l’interprofession.

Par Nathalie VALLEZ

 

Échos Judiciaires Girondins : Vous avez été à la tête, pendant plusieurs années, de la commission Grands Crus de Bordeaux Négoce avant d’en devenir le président, pourquoi cet engagement ?

Philippe Tapie : « Je m’investis beaucoup dans ce syndicat qui est un des plus gros de France en termes de chiffre d’affaires. Nous avons préparé en amont cette nouvelle mandature et fait un gros travail d’introspection. Notre directrice, Catherine Duperat, a lancé, avec ses équipes, un audit auprès de tous les membres de Bordeaux Négoce sur leur vision et leurs attentes. Ça a fait l’objet d’une synthèse à partir de laquelle nous avons établi notre nouvelle feuille de route. Nous ferons de notre mieux avec beaucoup de volonté, d’envie et d’espérance mais le chemin est long vu le contexte. »

 

EJG : Pouvez-vous nous donner les grandes lignes de cette feuille de route ?

Ph. T. : « Nous avons déterminé quatre axes majeurs : une réflexion sur le produit, pour qu’il soit plus contemporain. Il y a aussi notre image : nous voulons être plus accessibles. Concernant notre représentation : remettons en cause nos gestions de pilotage et de gouvernance entre les interprofessions qui provoquent trop de cacophonie. Il faudrait un guichet unique, simple et pragmatique. Et enfin, une volonté de remettre Bordeaux au centre des sujets et assumer une forme de modernité. Il faut qu’on soit tous d’accord sur le diagnostic pour se mettre d’accord sur une stratégie. Bordeaux doit assumer sa position et se démocratiser. »

 

EJG : Quelle a été votre mission à la commission Grands Crus ?

Ph. T. : « J’ai pris la présidence de cette commission il y a 5 ans. Elle est dédiée aux problématiques spécifiques des Grands Crus qui jouent le rôle de locomotive pour l’ensemble des vins de Bordeaux. Nous avons activé et coanimé cette commission avec Christophe Bernard (Sobovi) en regroupant les acteurs majeurs de l’activité Grands Crus classés pour faire entendre notre voix auprès des autres instances. Nous avons recréé le dialogue entre les propriétés, le courtage et le négoce. Nous avons remonté le niveau de la commission en mettant des décideurs et des mandataires sociaux autour de la table. Ce n’est pas une question d’arrogance mais de pertinence de décision. Je n’avais pas l’ambition de finir président, j’ai été porté par l’engouement de la dynamique que nous avons mise en place. Nous avons créé un indice : le BN40 (Bordeaux Négoce 40 en clin d’œil au CAC 40) qui nous a permis de nous réapproprier la donnée marché. Nous avons réussi à ce que les 40 plus grosses maisons de négoce nous donnent, de manière anonyme, leurs statistiques de vente et leurs chiffres par zone géographique. On a agrégé la donnée qui est devenue un anticipateur de marché, et qui, contrairement aux données douanières seulement constatives, est prospective. Nous voulions nous réapproprier cette donnée commerciale. Nous avons mis 2 ans à le faire fonctionner, c’est un vrai indicateur de tendances. Ça a créé un réel engouement. »

 

EJG : Votre élection intervient dans un contexte de crise…

Ph. T. : « La crise que nous traversons vient de loin : les taux d’intérêt ont fait que les stocks ne sont plus supportables pour beaucoup de personnes dans toute l’inter- profession. Bordeaux n’est pas un cas isolé. Je reviens d’une réunion nationale avec tous les syndicats de négoce et c’est compliqué pour toutes les régions, l’intégralité de la filière est touchée. Il y a une crise de confiance globale. On est tous à égalité et on va essayer de s’entraider, c’est la bonne nouvelle. La tâche va être rude mais on va y aller avec la fougue de la jeunesse d’une nouvelle mandature ! »

 

EJG : Comment se sont déroulés les primeurs cette année ?

Ph. T. : « De manière totalement déréglée dans un contexte déboussolé ! Nous sommes maintenant en pleine commercialisation. Nous avons des propriétés qui, dans leur ensemble, ont envoyé des signaux forts pour corriger les prix parce qu’on a bien compris que ça ne va pas, et nous sommes à la manœuvre. Mais c’est difficile de vous répondre aujourd’hui, dans ce contexte de crise de confiance. »

 

EJG : Est-ce la crise pour tout le monde ou certains tirent leur épingle du jeu ?

Ph. T. : « Je ne me réjouis pas du malheur des autres mais malheureusement c’est la crise pour tout le monde. Et dans le vignoble, aujourd’hui, il y a un décalage entre l’offre et la demande. Même si je regrette qu’on en soit arrivé là, la campagne, d’arrachage était indispensable. Nous ne pouvons pas continuer à produire plus que la demande. La remise en cause peut aussi être là. Est-ce que la production est adaptée à la demande ? Je n’en suis pas certain. Peut-être qu’il faut repenser le cahier des charges, la typicité du produit. Il faut bousculer les codes. »

 

EJG : Les négociants ont été – parfois violemment – pris à partie par les viticulteurs qui leur reprochent les prix d’achat très bas, comment le recevez-vous ?

Ph. T. : « Très durement, notamment quand Castel a été violemment assiégé. On passe pour les vilains petits canards. La viticulture ne se rend pas compte qu’on est bloqués par rapport à certaines règles, mais ce sont ces mêmes viticulteurs qui nous bloquent dans les institutions par leurs représentations. Il y a des choses à faire avancer. Notre volonté est d’optimiser le dialogue. »

 

EJG : Comment renouer le dialogue avec les viticulteurs ?

Ph. T. : « C’est difficile. On ne lâchera pas car ce dialogue est essentiel. Il faut se dire les choses même si elles font mal. Et là on rebascule dans la complexité de l’interprofession. Le point de rencontre est compliqué. On est indissociable, interdépendants. L’interprofession devrait réguler tout ça mais on n’arrive pas à créer cette transversalité. L’État a pris ses responsabilités : le préfet a organisé une réunion, le 9 avril dernier, à l’initiative du Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB) et de Bordeaux Négoce. Il faut une version adaptée de la loi EGAlim (qui porte sur l’agriculture) sur la viticulture. Tout le monde était autour de la table à l’initiative du préfet : les responsables d’enseignes de grande distribution, Bordeaux Négoce, le CIVB, le courtage, la viticulture, les syndicats agricoles, et Viti 33 (l’intersyndicale demande un prix rémunérateur calculé sur les coûts de production, NDLR). On s’est mis d’accord sur le diagnostic, on a posé les bonnes questions. Après des groupes de travail se sont créés pour mettre en place ce prix de rémunération minimum pour la viticulture et pour le négoce. Le débat portait sur l’évaluation du coût de revient minimum. Il y a un vrai chantier qui a été mis en route : le CIVB s’est impliqué, tout comme la fédération des grands vins, Bordeaux Négoce et le courtage. Cette réunion a eu le mérite d’aller dans le sens de la construction au lieu de se taper dessus. Il y a une dynamique positive. C’est encourageant !»

 

EJG : Vous avez participé à Vinexpo Hong Kong. C’était important de retrouver ce salon ?

Ph. T. : « Ça faisait 6 ans qu’on n’avait pas vu certains de nos clients, et ça s’est plutôt bien passé. On a fait moins de business qu’escompté mais on reste dans une dynamique positive. La situation est compliquée en Asie, aux États- Unis, et au Moyen-Orient. L’Asie représentait 38 % des exportations de nos grands vins de Bordeaux il y a 3 ou 4 ans, aujourd’hui c’est 11-12 %. On n’était pas revenu à Hong Kong depuis 2018 ! Singapour, c’était un Vinexpo par défaut, Hong Kong étant encore fermé. On aurait dû le dire car certains Chinois ont cru qu’on leur tournait le dos. En revenant on envoie un signal fort. Hong Kong a un pouvoir d’attractivité par rapport à l’ensemble de l’Asie qui est unique. »

 

EJG : Et donc l’an prochain vous retournerez à Singapour ? C’était la volonté de Rodolphe Lameyse, directeur de Vinexposium, d’organiser des salons en alternance…

Ph. T. : « Ça mérite d’être rediscuté, ce n’est pas validé par le comité stratégique. On va se positionner. On n’est pas les seuls décisionnaires. On doit faire un sondage mais il semblerait qu’on ne soit pas très favorables. On est passés d’un salon à Bordeaux et un en Asie à un salon à Paris chaque année et une alternance Singapour / Hong Kong, c’est oublier le coût financier que ça représente. »

2023, un millésime de décision !

Le millésime 2023, bien qu’anticipé avec une certaine appréhension en raison du contexte économique, réserve d’agréables surprises. Malgré des conditions climatiques complexes marquées par une humidité importante, les vignerons ont su relever les défis avec brio. La récolte, bien que généreuse, a été caractérisée par une attention particulière et des vendanges prolongées, permettant ainsi d’atteindre une qualité exceptionnelle.

Les vins de ce millésime se révèlent être de véritables joyaux. Les merlots, riches et mûrs, offrent des arômes intenses et une belle structure en bouche. Les cabernets sauvignons, aidés par les pluies de septembre, apportent une complexité supplémentaire et une grande finesse. Les assemblages se distinguent par leur douceur, leur charme et leur caractère séduisant, évoquant les grands millésimes passés.

Sur le marché, malgré les préoccupations initiales, une atmosphère positive se dessine. Les vignerons sont confiants dans la valeur de leurs produits et sont prêts à ajuster les prix pour stimuler les ventes. Cette attitude proactive est accueillie favorablement par les amateurs et les investisseurs, renforçant ainsi la réputation des vins de Bordeaux.

En somme, le millésime 2023 s’annonce comme une année prometteuse, tant sur le plan de la qualité des vins que sur celui de leur réception sur le marché.

HMS, dans Vigneron N°56

VIGNERON – PARU DANS LE NUMERO 56 – PRINTEMPS 2024
SPÉCIAL LA PLACE DE BORDEAUX

HMS

C’est une histoire d’amour, celui de Philippe Tapie pour l’élite des grands crus classés de Bordeaux, la Pléiade des vins fins, le cœur d’un monde qu’HMS chaque jour accompagne.

La Hollande sur le quai des Chartrons ! Au 29, là sur le port en plein Bordeaux, deux maisons de style flamand du XVIIe, des jumelles avec sur la tête un chapeau à rebord de volutes et lions, des pignons blonds comme la pierre des murs qui forment leur grand corps calcaire. Le marchand Hilaire Renu dessina en 1680 la rue Latour et la rue du Couvent, entre les deux il édifia l’unique gémellité architecturale du quai, un rêve d’exotisme nordique. Trois siècles et des poussières de temps plus tard, un homme est tombé fou amoureux de l’une d’elles, celle de droite, elle regarde la Garonne cuivrée et fait le coin avec la rue du Couvent. Pour l’avoir, il s’est endetté sur mille ans mais tous les jours Philippe Tapie la prend dans ses bras, tous les jours il monte dans son ventre par un étroit escalier de pierre, une merveille en colimaçon qui l’emmène au ciel. Voilà, le patron de HMS, maison de négoce de l’élite des grands crus classés, a établi son commerce amoureux dans le sein de la belle.

Ce matin, le soleil d’hiver traverse les verres ocre et vert bouteille en losanges plombés, les traits lumineux gravent la silhouette de nobles flacons pourpres posés sur le bureau du patron, on est en plein XVIIIe, en bas on croirait entendre rouler sur les pavés les tonneaux que les barricailleurs chargeaient à bord des graciles frégates. Philippe Tapie, quand il est parti en Amérique pour découvrir le monde et les codes de la distribution moderne des spiritueux, s’est dit : Le vin à Bordeaux, jamais ! Il se sentait enfermé dans le bocal, la famille de pieds-noirs avisés avait eu l’idée visionnaire de vendre la propriété et le vignoble à Oran dix ans avant le grand tumulte de la décolonisation. En 1952, Jean Tapie, son grand-père, achète Labégorce-Zédé, le revend en 1954 pour acquérir Branaire-
Ducru à Saint-Julien, plus tard cédé à la famille Maroteaux. Michel, le père de Philippe, s’y installe jusqu’en 1988 puis file à la retraite, Philippe a 18 ans.

Les grandes résolutions de jeunesse tiennent ce qu’elles tiennent ! Huit années passées à piger le positionnement des marques aux US, le marketing, les temps modernes, quoi, et le jeune Tapie rentre : « Il a fallu partir et revenir, j’ai pris alors la mesure de mon amour inconditionnel pour le vin de Bordeaux. J’ai décidé de créer une affaire de commerce dédiée à une élite des grands vins, les crus classés de Bordeaux. » En quelque sorte la collection Pléiade des vins fins. Jean-François Moueix lui dit : « Tu vas y laisser les plus belles années de ta vie. Je vais t’aider. » Ils sont quelques-uns comme lui, les Rothschild de Lafite et Mouton, les Borie, les Barton, les Cazes, les Maroteaux de Branaire bien sûr et d’autres qui lui tendent la main, touchés par la conviction et l’enthousiasme du jeune aventurier. En 2002 naît HMS, au début ça veut dire Haut-Médoc Sélection, aujourd’hui on ne parle plus que de l’acronyme, devenu la marque du sur-mesure au service des plus grands. Les courtiers ne sont pas en reste, les Valentin Lillet, Laurent Quancard, Blanchy & de Lestapis, Tastet-Lawton le soutiennent, d’autres suivent. La connaissance de la distribution aux États-Unis, les réseaux identifiés lui font gagner du temps : HMS démontre son efficacité immédiate dès la campagne primeurs du millésime 2001.

Aujourd’hui, après 22 ans d’existence, le chiffre d’affaires annuel atteint plus de 15 millions d’euros, 20 % en France, le reste au grand export dans 30 pays, prix moyen par bouteille, 150 euros, la moitié des ventes en primeur, le reste en livrable :
« Ça n’a pas été sans mal, le bateau a quelquefois tangué dangereusement, avec les millésimes difficiles – 2006, 2007, 2008 – et puis la crise des sub-primes. Mais enfin 2009 et 2010 nous sauvent. Vient 2017, à l’époque nous faisons 80 % de notre chiffre en primeurs, le système se fragilise, la surface des marques porteuses se réduit, il faut élargir au livrable. On a eu chaud… Pour exercer ce métier, il faut connaître les clefs, les us et coutumes, être sur le pont tout le temps, le travail acharné c’est mieux, il faut aussi être malin, avoir les reinssolides et du sang-froid. » Être soi et différent des autres, se tenir dans un ailleurs de l’accompagnement. HMS organise des séjours d’immersion dans les châteaux : « On dit à nos clients “Venez, on s’occupe de tout”. Figurez-vous qu’ils viennent ! »

Dans le dos de Philippe Tapie trône un florilège de maximes que lui ont offert ses 12 collaborateurs pour rire de ses aphorismes répétés mais c’est du sérieux : « La compétence s’acquiert, pas l’état d’esprit » ; « C’est pas la Bérézina ! » ; « Ma voix compte double ! » ; « Toute une vie pour gagner la confiance, une minute pour la perdre » ; « HMS : l’ovni du négoce ! » Tapie est président de la commission grands crus de Bordeaux Négoce, il y milite ardemment pour « un négoce moderne, décomplexé ». Au diable l’entre-soi et le secret ! /

 

Vendange 2021

A l’heure où la récolte du millésime s’est terminée il y a quelque mois dans le vignoble bordelais, l’année 2021 a été synonyme d’inquiétude puis de soulagement. Les phénomènes météorologiques ainsi que les maladies n’ont pas épargné la vigne.

Les volumes sont en retrait par rapport aux années précédentes mais les premiers constats sur ce millésime restent optimistes.

Le climat relativement doux de cet été a révélé des raisins plus fruités et plus aromatiques ce qui orienterait le produit vers davantage d’élégance et de fraicheur.

Verdict dans quelques mois, à l’occasion des dégustations les Primeurs.

Situation exceptionnelle

Nous espérons que vous et vos proches sont en bonne santé et que vous vous êtes adaptés à la situation inédite que nous traversons.

Suite à la mise en place de mesures de sécurité, l’équipe, fidèle à son état d’esprit, reste combatif et continue de promouvoir les grands vins de Bordeaux.

Grace à sa réactivité et son engagement, HMS est toujours en mesure de répondre aux demandes tant françaises qu’étrangères.

Si le calendrier des événements reste incertain, nous sommes convaincus qu’il est IMPÉRATIF de présenter le très prometteur millésime 2019, dés que la situation sanitaire le permettra.

Nous ne manquerons pas de vous tenir informé de l’évolution de la situation.