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Bordeaux Négoce : RENOUER LE DIALOGUE

BIO EXPRESS

Philippe Tapie est issu d’une famille de pieds-noirs arrivée dans les années cinquante à Bordeaux. Ses grands-parents étaient déjà propriétaires d’un domaine viticole en Algérie, dans la région d’Oran. Dès leur arrivée, ils achètent des propriétés dans le Médoc. « Mes grands-parents ont exploité des Grands Crus, mais moi j’ai fait un autre choix, celui des spiritueux, ça me paraissait plus audible et compréhensible », commente-t-il. Il passe une dizaine d’années aux États-Unis avant de revenir à Bordeaux pour se rapprocher de son père. « J’ai eu envie de me lancer dans le marketing produit mais tout de suite sur quelque chose de très spécialisé : les Grands Crus classés ». L’aventure HMS (Haut-Médoc Sélection) débute en 2002 : « Je n’ai qu’une centaine de références, mais, sans vouloir paraître arrogant, du numéro 1 au numéro 100 ! »

 

INTERVIEW – Élu à la tête de Bordeaux Négoce dans un contexte de crise, le négociant Philippe Tapie, également fondateur de l’entreprise HMS, entend bien dépoussiérer l’image de la place de Bordeaux et optimiser le dialogue dans l’interprofession.

Par Nathalie VALLEZ

 

Échos Judiciaires Girondins : Vous avez été à la tête, pendant plusieurs années, de la commission Grands Crus de Bordeaux Négoce avant d’en devenir le président, pourquoi cet engagement ?

Philippe Tapie : « Je m’investis beaucoup dans ce syndicat qui est un des plus gros de France en termes de chiffre d’affaires. Nous avons préparé en amont cette nouvelle mandature et fait un gros travail d’introspection. Notre directrice, Catherine Duperat, a lancé, avec ses équipes, un audit auprès de tous les membres de Bordeaux Négoce sur leur vision et leurs attentes. Ça a fait l’objet d’une synthèse à partir de laquelle nous avons établi notre nouvelle feuille de route. Nous ferons de notre mieux avec beaucoup de volonté, d’envie et d’espérance mais le chemin est long vu le contexte. »

 

EJG : Pouvez-vous nous donner les grandes lignes de cette feuille de route ?

Ph. T. : « Nous avons déterminé quatre axes majeurs : une réflexion sur le produit, pour qu’il soit plus contemporain. Il y a aussi notre image : nous voulons être plus accessibles. Concernant notre représentation : remettons en cause nos gestions de pilotage et de gouvernance entre les interprofessions qui provoquent trop de cacophonie. Il faudrait un guichet unique, simple et pragmatique. Et enfin, une volonté de remettre Bordeaux au centre des sujets et assumer une forme de modernité. Il faut qu’on soit tous d’accord sur le diagnostic pour se mettre d’accord sur une stratégie. Bordeaux doit assumer sa position et se démocratiser. »

 

EJG : Quelle a été votre mission à la commission Grands Crus ?

Ph. T. : « J’ai pris la présidence de cette commission il y a 5 ans. Elle est dédiée aux problématiques spécifiques des Grands Crus qui jouent le rôle de locomotive pour l’ensemble des vins de Bordeaux. Nous avons activé et coanimé cette commission avec Christophe Bernard (Sobovi) en regroupant les acteurs majeurs de l’activité Grands Crus classés pour faire entendre notre voix auprès des autres instances. Nous avons recréé le dialogue entre les propriétés, le courtage et le négoce. Nous avons remonté le niveau de la commission en mettant des décideurs et des mandataires sociaux autour de la table. Ce n’est pas une question d’arrogance mais de pertinence de décision. Je n’avais pas l’ambition de finir président, j’ai été porté par l’engouement de la dynamique que nous avons mise en place. Nous avons créé un indice : le BN40 (Bordeaux Négoce 40 en clin d’œil au CAC 40) qui nous a permis de nous réapproprier la donnée marché. Nous avons réussi à ce que les 40 plus grosses maisons de négoce nous donnent, de manière anonyme, leurs statistiques de vente et leurs chiffres par zone géographique. On a agrégé la donnée qui est devenue un anticipateur de marché, et qui, contrairement aux données douanières seulement constatives, est prospective. Nous voulions nous réapproprier cette donnée commerciale. Nous avons mis 2 ans à le faire fonctionner, c’est un vrai indicateur de tendances. Ça a créé un réel engouement. »

 

EJG : Votre élection intervient dans un contexte de crise…

Ph. T. : « La crise que nous traversons vient de loin : les taux d’intérêt ont fait que les stocks ne sont plus supportables pour beaucoup de personnes dans toute l’inter- profession. Bordeaux n’est pas un cas isolé. Je reviens d’une réunion nationale avec tous les syndicats de négoce et c’est compliqué pour toutes les régions, l’intégralité de la filière est touchée. Il y a une crise de confiance globale. On est tous à égalité et on va essayer de s’entraider, c’est la bonne nouvelle. La tâche va être rude mais on va y aller avec la fougue de la jeunesse d’une nouvelle mandature ! »

 

EJG : Comment se sont déroulés les primeurs cette année ?

Ph. T. : « De manière totalement déréglée dans un contexte déboussolé ! Nous sommes maintenant en pleine commercialisation. Nous avons des propriétés qui, dans leur ensemble, ont envoyé des signaux forts pour corriger les prix parce qu’on a bien compris que ça ne va pas, et nous sommes à la manœuvre. Mais c’est difficile de vous répondre aujourd’hui, dans ce contexte de crise de confiance. »

 

EJG : Est-ce la crise pour tout le monde ou certains tirent leur épingle du jeu ?

Ph. T. : « Je ne me réjouis pas du malheur des autres mais malheureusement c’est la crise pour tout le monde. Et dans le vignoble, aujourd’hui, il y a un décalage entre l’offre et la demande. Même si je regrette qu’on en soit arrivé là, la campagne, d’arrachage était indispensable. Nous ne pouvons pas continuer à produire plus que la demande. La remise en cause peut aussi être là. Est-ce que la production est adaptée à la demande ? Je n’en suis pas certain. Peut-être qu’il faut repenser le cahier des charges, la typicité du produit. Il faut bousculer les codes. »

 

EJG : Les négociants ont été – parfois violemment – pris à partie par les viticulteurs qui leur reprochent les prix d’achat très bas, comment le recevez-vous ?

Ph. T. : « Très durement, notamment quand Castel a été violemment assiégé. On passe pour les vilains petits canards. La viticulture ne se rend pas compte qu’on est bloqués par rapport à certaines règles, mais ce sont ces mêmes viticulteurs qui nous bloquent dans les institutions par leurs représentations. Il y a des choses à faire avancer. Notre volonté est d’optimiser le dialogue. »

 

EJG : Comment renouer le dialogue avec les viticulteurs ?

Ph. T. : « C’est difficile. On ne lâchera pas car ce dialogue est essentiel. Il faut se dire les choses même si elles font mal. Et là on rebascule dans la complexité de l’interprofession. Le point de rencontre est compliqué. On est indissociable, interdépendants. L’interprofession devrait réguler tout ça mais on n’arrive pas à créer cette transversalité. L’État a pris ses responsabilités : le préfet a organisé une réunion, le 9 avril dernier, à l’initiative du Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB) et de Bordeaux Négoce. Il faut une version adaptée de la loi EGAlim (qui porte sur l’agriculture) sur la viticulture. Tout le monde était autour de la table à l’initiative du préfet : les responsables d’enseignes de grande distribution, Bordeaux Négoce, le CIVB, le courtage, la viticulture, les syndicats agricoles, et Viti 33 (l’intersyndicale demande un prix rémunérateur calculé sur les coûts de production, NDLR). On s’est mis d’accord sur le diagnostic, on a posé les bonnes questions. Après des groupes de travail se sont créés pour mettre en place ce prix de rémunération minimum pour la viticulture et pour le négoce. Le débat portait sur l’évaluation du coût de revient minimum. Il y a un vrai chantier qui a été mis en route : le CIVB s’est impliqué, tout comme la fédération des grands vins, Bordeaux Négoce et le courtage. Cette réunion a eu le mérite d’aller dans le sens de la construction au lieu de se taper dessus. Il y a une dynamique positive. C’est encourageant !»

 

EJG : Vous avez participé à Vinexpo Hong Kong. C’était important de retrouver ce salon ?

Ph. T. : « Ça faisait 6 ans qu’on n’avait pas vu certains de nos clients, et ça s’est plutôt bien passé. On a fait moins de business qu’escompté mais on reste dans une dynamique positive. La situation est compliquée en Asie, aux États- Unis, et au Moyen-Orient. L’Asie représentait 38 % des exportations de nos grands vins de Bordeaux il y a 3 ou 4 ans, aujourd’hui c’est 11-12 %. On n’était pas revenu à Hong Kong depuis 2018 ! Singapour, c’était un Vinexpo par défaut, Hong Kong étant encore fermé. On aurait dû le dire car certains Chinois ont cru qu’on leur tournait le dos. En revenant on envoie un signal fort. Hong Kong a un pouvoir d’attractivité par rapport à l’ensemble de l’Asie qui est unique. »

 

EJG : Et donc l’an prochain vous retournerez à Singapour ? C’était la volonté de Rodolphe Lameyse, directeur de Vinexposium, d’organiser des salons en alternance…

Ph. T. : « Ça mérite d’être rediscuté, ce n’est pas validé par le comité stratégique. On va se positionner. On n’est pas les seuls décisionnaires. On doit faire un sondage mais il semblerait qu’on ne soit pas très favorables. On est passés d’un salon à Bordeaux et un en Asie à un salon à Paris chaque année et une alternance Singapour / Hong Kong, c’est oublier le coût financier que ça représente. »